Albert Lives : les derniers instants de la vie d'Albert A.

Texte censuré par Franck Médioni *... Bonjour, M. Spielberg. Voici le scénario du court-métrage : « Les derniers instants de la vie d’Albert A. ». C’est une histoire inventée de toutes pièces, aucun lien avec l’histoire du grand A.A. Le court-métrage sera accompagné d’extraits des disques d’Albert Ayler.

Ecran noir. Courte déchirure de saxophone ténor. Ouverture aveuglante, soleil éclatant. Peau noire. L’homme est immergée jusqu’à mi-cuisse dans les eaux de l’Hudson (Upper Bay, New York). Court plan séquence : Albert avance l’air hagard, les bras levés vers le ciel. L’eau atteint son slip. Barbiche mouillée et chapeau rond. Flash-back : le représentant de la mafia lui interdit de jouer du saxo en raison de son style trop émotionnel, trop identifiable. En cas de refus, il fourguera son âme au « Vaudou-Casino » lieu mal famé.

Saint-Esprit ? Sainte Famille ? Message Universel ? Plan large du fleuve filmé avec l’objectif au niveau de l’eau. Flash-back : Albert en sonneur de cornemuse campé sur la ligne d’horizon. Il marche sur l’eau comme Jésus. La scène psychédélique des années 70 et l’horizon se confondent. Albert joue le « Blues » radical accompagné par une cohorte d’anges dans le ciel (des êtres bons et justes). Plan panoramique du fleuve. Le saxophone tonne comme une sirène de bateau. Le processus d’engloutissement est filmé dans un style publicitaire tape à l’oeil. Albert est dans l’eau jusqu’à mi-torse. Il s’enfonce. Un truc cloche. Champs/Contre-chant : les anges se transforment en ombres ultra-louches.

Une vedette rapide surgit gauche cadre, conduite par trois types aux gueules patibulaires avec lunettes noires et nerf de boeuf. Un mafiosi, calibre automatique, tire trois balles dans la tête d’Albert. Gros plan du sang giclant sur les vagues. Les malfrats hissent son corps au fond du bateau pour faire disparaître le cadavre. Les tueurs à gage se congratulent. Après l’assassinat des réformateurs Kennedy et Luther King, le « Big » patron voulait arrêter l’avancée révolutionnaire… Albert était sur le point d’amener le subversif et marginal « Free Jazz » dans la sphère populaire de la « Soul Music ». Albert était vraiment trop dangereux pour la bonne marche du « Stéréo Pôle » mondial !

- Ton histoire n’est pas une allégorie de l’époque actuelle ! La pratique de l’assassinat politique est bien finie aux Etats-Unis, n’est-ce pas ?!!??!! Albert s’est noyé. Il n’a pas été assassiné, mais tu ne nous dis pas pourquoi il se jette dans le fleuve.
- Je cherche une raison en relisant : « Les treize morts d’Albert Ayler» de la « Série Noire ». Aucun des 13 auteurs n’avance d’explications crédibles : « Ghetto du hurlement intérieur… Sorcière du Bourbonnais propulsée par une cornemuse… La pipe qui tue vrai de vrai… Highway 61… Dette de jeu… Fausse note finale… Lettre anonyme : C’est moi qui ai tué Albert Ayler... Drogue versée à son insu… »
- On parle toujours de soi-même dans l’exégèse d’un autre artiste.
- Dans l’« éxe » quoi ? l’exagération ? On réfléchi en écoutant Albert : c’est la voix de la vérité ! J’ai enregistré une musique intitulée « Love Try » en hommage au « Love Cry » d’Albert. Je ne pensais qu’à sublimer mon malheur personnel. La dédicace est là pour épater la galerie, Monsieur Spielberg !
- Ah, ah ! Arête de m’appeler comme ça, je m’appelle Al Berg et je ne produis que dalle ! Peut-être qu’Albert a changé de corps par opération mystique et s’est transformé grâce à la chirurgie esthétique en Prince, « The Love Symbol » !
- Dès qu’il s’agit d’Ayler, on se croit autorisé de raconter n’importe quoi ! Il a tellement frappé l’imagination ! Tiens, je ressors un texte que j’avais écrit pour « Jazz Magazine » au siècle dernier, j’essaye d’être sérieux : « Je peux à nouveau aimer l'immense combat mystique de l'ange Albert entre Dieu et Diable. Je suis profondément athée, mais je me sens proche de lui dans la mesure où je crois au progrès de l'être humain. L'harmonie de Jean-Sébastien Bach exprimait l'idéal de Dieu. Albert Ayler utilise le total chromatique avec décontraction pour exprimer sa vérité spirituelle. C'est l'un des plus importants novateur du siècle. Son influence est considérable bien que plus personne n'écoute ses disques. Albert c'est le contrepoint dans la gueule, une claque pour réveiller les morts… »
- Ah, ah, tu te la joue grave !
- Ecoute Albert Ayler, écoute et tu comprendra ! « Music is the healing force of the universe »

(c) Etienne Brunet, juillet 2008

* Franck conteste cette version, bien entendu. Il prends son air innocent et déclare la bouche en coeur que tout est de la faute de son éditeur. Franck m'avait demandé d'écrire ce texte au moins trois années avant la parution du livre. Il m'avait même déclaré que mon texte l'avait inspiré pour écrire sa contribution. Finalement grâce à Michel Host mon texte était sorti dans la revue "La Sœur de l'Ange" n°9, Editions Hermann 2011. http://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Ayler

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